Mois: septembre 2017

Sur le pouce #5 – « Un truc de ouf »

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Cinquième volet d’une tentative d’analyse gonzo de l’autostop commencée il y a déjà quelques temps.

Paris est une putain de machine à laver. Y revenir m’a toujours fait cet effet. Il suffit de descendre par la première bouche de métro venue pour que s’évaporent les quelques onces de fraîcheur grappillées à l’air libre et qu’elles se dissolvent dans les molécules de pisse javellisée qui suintent des milliers de carreaux blancs. J’hésite, grimpe dans une rame. L’oxygène déjà se fait plus rare. La promiscuité forcée – cette intimité coutumière aux gens de la ville – renvoie mon corps atomisé à ses destinées collectives et suantes. Je pourrais encore m’extraire mais l’alarme stride son signal indicatif. Trop tard. Et c’est comme si Serge en personne, avec son air de lapin maso qui n’en finit plus de se coincer les doigts dans la porte, me poussait à l’intérieur du tambour et claquait le hublot. Le programme est lancé. Il n’y a plus qu’à se laisser rudoyer, tenter au mieux d’anticiper les cahots. Je connais trop le secteur pour espérer m’en tirer sans accroc.

Car le monde est ainsi fait que la Terre tourne autour de l’astre solaire comme la France autour de sa capitale. Et nos rêves se meurent sous un pont du périphérique comme l’autoroute du Soleil. J’ai fui Paris par ses quatre points cardinaux. Chaque fois, j’y suis revenu. Et chaque fois, y revenir devait être une suffocation préméditée. Au fil des ans, j’ai conçu des stratégies censées atténuer la brutalité du choc. Le jeu consiste à rester avec vous, dans votre bagnole, le plus longtemps possible. Retarder au maximum l’entrée en contact et la première bouffée de particules fines. J’ai établi mon high score en la matière par un dimanche d’hiver. Après une heure d’attente sur l’Aire des Portes d’Angers, un couple accepte de serrer ses têtes blondes pour me faire une place à l’arrière du monospace. J’indique Paris, vaguement. Quatre heures plus tard, je suis devant la porte, livré à domicile comme une pizza tiède. La famille parfaite habite à deux rues de ma destination. Je sais que je viens d’atteindre un sommet que j’aurai du mal à égaler. (suite…)